1906, naissance d'une vocation : Mme Gallice, la fondatrice
A cette époque, vivait une petite fille, Blanche MAUGER qui, devenue très tôt orpheline, avait été élevée par sa tante et les Dames du Sacré-Coeur. Elle fut mariée très jeune à Monsieur GALLICE qui la fit entrer en possession d'une immense fortune : propriété au Bois de Boulogne, écurie de chevaux de course, yatch, plusieurs châteaux qui nécessitaient un personnel nombreux. Hélas, en 1906, après 13 années de bonheur, Madame Gallice perd son mari presque subitement. Elle n'a pas d'enfant... Son chagrin est immense... Foncièrement chrétienne, elle cherche à le dominer et c'est au Sacré-Coeur de Montmartre qu'en juin 1906, elle prend la résolution de consacrer sa vie et sa fortune aux pauvres et aux enfants les plus déshérités. Elle a 38 ans. Par l'intermédiaire de l'Abbé Marbeau, futur évêque de Meaux, elle demande à l'archevêque de Paris, le cardinal RICHARD, qu'il lui confie le quartier le plus misérable de Paris : Javel lui est indiqué. En effet, à côté des cultures luxuriantes des maraîchers, s'étend la « Cité des Mousquetaires », lieu d'élection des chiffonniers : sol défoncé par les pluies et jamais remblayé, sinon au moyen de détritus infects et, dans les trous des sablières, huttes et cabanes construites avec des débris de bois, des caissons de voitures, des matériaux informes recueillis dans les décharges. Les habitants couchent sur des tas de chiffons, avec chiens, poules, lapins... et vermine.Du milieu de ce pêle-mêle, sortent des nuées d'enfants malingres et demi-nus : ils se roulent avec plaisir sur les tas énormes que grossissent chaque jour les déchets du travail de leurs parents auquel ils prennent part eux-mêmes dès l'âge de 3 ans. Au petit matin, tous ces pauvres gens vont fouiller les poubelles et ne vivent que de ce qu'ils y récoltent... Le vin bu pour remplacer le beefsteak échauffe un peu trop les têtes d'où les batailles rangées dans les rues où il ne fait pas bon s'aventurer le soir.
Aucun prêtre, aucune religieuse n'aurait eu la possibilité de circuler librement dans ce quartier. Il n'y avait pour toute église qu'une pauvre chapelle en bois construite par l'Abbé Alexandre Mayeux, curé de Grenelle.
1907 - 1910
Aidée par le Père PORTAL, Lazariste, rencontré en avril 1907, Madame Gallice se met à l'oeuvre. Elle loue d'abord la boutique d'un savetier au 56 de la rue Alphonse (maintenant rue Sébastien Mercier), pour y réunir les enfants déguenillés et qui, n'allant pas à l'école, traînent dans les rues, à l'abandon. Elle les fait jouer, s'occupe d'eux. Petit à petit, les enfants l'adoptent et grâce à eux, elle peut pénétrer dans les familles pour secourir les misères physiques et morales : elle ne donne pas d'argent qui risquerait d'être mal employé, mais distribue des bons de pain, de viande, de lait, de charbon ou de vêtements, qui sont directement payés par elle aux commerçants. Ses visites ne sont pas toujours sans danger : elle est quelquefois obligée de se protéger de la morsure des chiens par son parapluie ouvert qu'elle fait tourner autour d'elle...
Très vite, la boutique devient trop petite. Le 6 janvier 1908, elle loue un local plus vaste pouvant contenir non plus 30 mais 130 enfants. Pour les plus grandes Filles, une école ménagère est organisée : on y donne des cours de cuisine, de coupe, de sténodactylo, de secourisme... mais aussi de chant, de danse rythmique, etc.
Pendant ce temps, elle fait construire, dans un terrain vague qu'elle a acheté rue de Lourmel, une maison immense pour l'époque et le quartier, divisée en grandes classes : notre maison actuelle.
C'est l'époque où plusieurs hôpitaux sont mis en service (Boucicaut, Pasteur, Vaugirard, Saint-Michel) et où se développent les grandes écoles techniques (Violet, Bréguet, l'Aéronautique ... ). Le nombre des habitants augmente avec les progrès d'urbanisation ; on en compte près de 200000...
Mais surviennent les terribles inondations de 1910 qui ravagent le quartier : la rue de Lourmel est sillonnée tant bien que mal par des barques ou des voitures à chevaux pour que les livraisons indispensables puissent se faire dans les maisons envahies par les eaux de la Seine. C'est en barque, de même, que Madame Gallice, avec ses collaboratrices, va porter secours aux sinistrés. Par des échelles et grâce à des échafaudages, on peut arriver jusqu'au premier étage des habitations.
Une fois cette épreuve terminée pour Paris et certains de ses quartiers, on s'installe dans la nouvelle maison.
Les "Dames de l'Union" rapprochent les Eglises Catholique et Protestante
Le Père Portal, discrètement, a gagné à l'oeuvre de Madame Gallice, un groupe de jeunes filles généreuses et compétentes qui forment l'embryon d'une pieuse Association : «les Dames de l'Union». Elles se consacrent aux enfants et aux pauvres du quartier et veulent, en même temps, travailler au rapprochement des Eglises, suivant en cela l'idéal du Père Portal qui entretient des relations étroites avec le Cardinal MERCIER et Lord HALIFAX et partage avec eux le souci d'entrer en contact avec les Anglicans pour réduire les désaccords existants avec les Catholiques. Mademoiselle Suzanne BOCQUET, avec Mademoiselle Jeanne MASSEZ sont parmi les pionnières de ce groupement et resteront à travailler dans la maison jusqu'à l'âge de la retraite ou de la maladie.
Un "4 heures" pour les pauvres, un week-end studieux
Dès 16 h 30, dans sa nouvelle maison, Madame Gallice, entourée des « demoiselles », accueille les enfants arrivant de l'école publique des filles. Chaque petite écolière reçoit un gros morceau de pain frais et du chocolat, puis, après une bonne récréation, à 5 heures, toutes se regroupent en 6 sections, pour faire leurs devoirs et appendre leurs leçons. Le but est toujours le même : empêcher les enfants de traîner dans la rue et de séjourner trop longtemps dans leur taudis. La maison en accueille environ 350 tous les jours et ces contacts permettent Madame Gallice de s'informer discrètement de la situation des familles pour y pénétrer, subvenir à leurs besoins, suggérer aux parents, à l'occasion d'une naissance, de faire baptiser le nouveau-né, ce qui entraîne la régularisation de bien d'autres situations. A 18 h 30, les rangs se forment et les enfants sont conduites chez elles. Celles dont les mamans sont malades, attendent un bébé ou sont à l'hôpital, sont prises complètement en charge : un grand dortoir les accueille dans cette maison qui est
leur seconde famille.
Le jeudi et le dimanche, jours de congé, un patronage reçoit toutes les petites filles qui le désirent. En été, Madame Gallice organise des colonies de vacances tenues d'abord par les Soeurs de Saint Vincent de Paul, puis par les «demoiselles».
Des cours sont donnés aux plus grandes comme auparavant: coupe, couture, cuisine, Croix-Rouge, sténodactylo, comptabilité, tandis qu'une section de syndicat chrétien s'occupe du placement. Pour celles qui sont déjà ouvrières ou employées, la maison est ouverte le samedi et le dimanche. Madame Gallice, soucieuse du développement artistique de ses enfants, organise aussi des cours de chant, de danse et de littérature.
1914 - 1932, mort de Mme Gallice
Mais voilà qu'éclate la guerre de 1914. Une partie de la maison abrite des réfugiés; dans une autre, on prépare des colis pour les soldats ; dans une troisième, on sert le repas du soir, ce qui soulage les mères de famille.
Cette bourrasque passée, l'oeuvre se réorganise suivant les nécessités du quartier : catéchismes, patronage, oeuvre du trousseau (chacune emporte ce qu'elle a confectionné avec le tissu fourni par Madame Gallice), garderie, repas des midinettes, foyer pour les anciennes et leurs maris, célébration des fiançailles, visite des familles et des Vieillards. On organise aussi de grandes sorties, des fêtes et séances théâtrales, des kermesses.
Tout en dirigeant la maison de la rue de Lourmel, Madame Gallice s'occupe de son orphelinat transporté de son château natal de Normandie jusqu'aux Corbières près d'Aix-les-Bains en 1917. Elle fait de nombreux voyages entre Paris et la Savoie.
Mais, d'abord victime d'une bousculade dans la gare de Lyon en 1914, puis d'une chute dans un escalier, elle peut difficilement se déplacer, ce qui limite terriblement son activité et l'oblige à une vie plus retirée qu'elle consacre à la prière, à la réflexion pour l'organisation très précise de ses oeuvres. Elle va souvent dans sa petite tribune d'où elle peut voir le tabernacle de la chapelle et recommander à Dieu tous ceux qu'elle peut ou veut atteindre. Elle conserve cependant la direction générale de la maison de la rue de Lourmel, aidée par le Père Portal qui, malgré son immense travail pour l'Unité des Eglises, s'occupe des « Dames de l'Union » avec une bonté inlassable.
La chapelle de bois du quartier tombant en ruines, la première pierre de la future église Saint Christophe est solennellement posée en 1921 par le Cardinal Dubois. Là encore, Madame Gallice est présente et contribue largement à la construction de la nouvelle église.
Le 25 mars 1926 le Cardinal Dubois approuve l'Association des « Dames de l'Union » et le 29, Monseigneur Castella fait de même à Chambéry, diocèse auquel appartiennent les Corbières.
Mais le 20 juin de la même année, peu après l'inauguration d'un dispensaire ouvert par Madame Gallice à Arcueil, le Père Portal, malade depuis longtemps, meurt dans cette maison de Lourmel qu'il aimait tant. Sa mort est une très dure épreuve pour Madame Gallice d'autant plus qu'en 1927, par suite de difficultés intérieures, elle perd plusieurs collaboratrices. Soucieuse d'assurer l'avenir de son oeuvre et conseillée par le Père AYMARD FAUGERE, Assomptioniste, curé de Saint-Christophe de Javel depuis 1924, elle fait appel en 1929 aux SOEURS OBLATES DE L'ASSOMPTION, filles du Père D'ALZON, qui prennent la maison définitivement en charge à sa mort survenue aux Corbières le 19 août 1932, après une pénible maladie et une vie de pauvreté volontaire et de dévouement inlassable auprès de tout un quartier et spécialement auprès des enfants.